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Dans ce chapitre de la trilogie, le jeune et timide Hobbit, Frodon Sacquet, hérite d'un anneau. Bien loin d'être une simple babiole, il s'agit de l'Anneau Unique, un instrument de pouvoir absolu qui permettrait à Sauron, le Seigneur des ténèbres, de régner sur la Terre du Milieu et de réduire en esclavage ses peuples. À moins que Frodon, aidé d'une Compagnie constituée de Hobbits, d'Hommes, d'un Magicien, d'un Nain, et d'un Elfe, ne parvienne à emporter l'Anneau à travers la Terre du Milieu jusqu'à la Crevasse du Destin, lieu où il a été forgé, et à le détruire pour toujours. Un tel périple signifie s'aventurer très loin en Mordor, les terres du Seigneur des ténèbres, où est rassemblée son armée d'Orques maléfiques... La Compagnie doit non seulement combattre les forces extérieures du mal mais aussi les dissensions internes et l'influence corruptrice qu'exerce l'Anneau lui-même.
Quel est donc ce fou qui ose ainsi s’attaquer aux mythiques écrits de Tolkien, cette trilogie fondatrice d’un genre (l’heroic fantasy) réputée inadaptable ? Peter Jackson, bien sûr ! Aujourd’hui, ce nom est indissociable de l’univers décrit jadis par Tolkien, remplaçant presque l’écrivain dans la tête de ceux qui ne l’auraient jamais lu. Pourtant, à l’époque, la tâche ne fut pas gagnée d’avance, bien au contraire, et le défi était de taille, surpassant en difficulté toutes les autres adaptations cinématographiques existantes.
S’associant à Philippa Boyens et Fran Walsh au décorticage de l’œuvre de Tolkien et à l’écriture de cette nouvelle transposition à l’écran (rappelons l’existence d’une autre adaptation animée par Ralph Bakshi datant de 1978), le réalisateur de Créatures célestes décide de ne pas illustrer le plus fidèlement possible les incroyables aventures décrites par l’auteur. En effet, la trilogie, et plus particulièrement l’épisode de La Communauté de l’Anneau s’inscrit dans une mythologie incroyablement dense, comportant son lot important de personnages que l’on découvre pour la première fois, personnages entretenant des relations parfois complexes entre eux (la relation entre les nains et les elfes pour ne prendre qu’un exemple, qui sera d’ailleurs un peu plus étoffée dans la version longue), contenant de nombreux chants et décrivant des événements parfois séparés de plusieurs années (plusieurs années s’écoulent en effet dans le livre avant que Frodon ne se décide de quitter la Comté avec l’anneau). Pour que le spectacle soit total tout en demeurant profond et immersif, Peter Jackson et ses deux scénaristes n’ont d’autre choix que de forcer le rythme, condensant certains évènements ainsi que chaque période de l’histoire du livre. L’intensité dramatique est ainsi parfaitement maintenue, et le dépaysement est total, n’en déplaise aux fans hardcore du bouquin qui s’écrieront en chÅ“ur : « C’est quoi ce bordel, il n’y a pas de chansons, beaucoup trop d’Arwen et, au fait, où est Tom Bombadil ? ! » (pour faire court). Mais une adaptation est une question de choix, et force est de constater que la plupart de ceux qui ont été opté sont les bons. Jackson a retenu les thèmes principaux (l’industrie détruisant la nature, le libre arbitre, le tout étant surplombé d’une grande humanité), s’est donné les moyens pour retranscrire visuellement l’univers en alliant habilement décors naturels, miniatures et trucages numériques et, dans sa grande générosité, nous fait partager son immense amour pour les créatures « à la Ray Harryhausen » en montrant plutôt qu’en suggérant (Le Guetteur de l’Eau nous est notamment dévoilé, le combat contre le Troll des cavernes devient littéralement épique). Le cinéaste se permet même d’autres ajouts de taille en empruntant des éléments issus d’annexes ou autres écrits de Tolkien (la bataille ouvrant le film, reprise du Silmarillion) ou en en créant
de toute pièce, personnalisant ainsi la menace de Saroumane par le biais de Lurtz, ennemi d’envergure et meneur des Uruk-hai qui tuera Boromir, annonçant ainsi la dissolution de la communauté tout en offrant un final d’ampleur à cette première partie de la trilogie.
A propos d’ampleur, le réalisateur de Bad Taste n’oublie pas d’offrir un découpage riche et palpitant, utilisant avec ruse la perspective forcée, plongeant volontiers des caméras virevoltantes dans les fosses d’Isengard ou construisant avec méticulosité une magnifique poursuite à cheval. Chaque séquence est le résultat d’une recherche exploitant l’apport pictural et le mouvement adéquat. On pourrait juste reprocher au cinéaste une utilisation quelque peu abusive de ralentis et de gros plans nuisant parfois à la lisibilité. Pour parfaire un tableau comportant finalement que très peu d’ombre, Jackson a aussi fait les bons choix côté casting en privilégiant des interprètes dont le vécu fait souvent écho à leur rôle ainsi qu’en créant des liens entre eux bien au-delà des caméras. Ainsi, Elijah Wood connaît son premier tournage en terres inconnues (la Nouvelle-Zélande) et tient pour la première fois le rôle principal dans un film de grande envergure (une charge équivalente au poids de l’anneau qu’il porte dans le film), faisant de lui le parfait Frodon, balancé entre naïveté et sagesse. Ian McKellen dans les habits de Gandalf apporte toute son expérience shakespearienne à la sagesse du personnage, tandis que Viggo Mortensen endosse avec justesse la défroque du rôdeur Grand-Pas, se révélant par la suite être un Aragorn bienveillant et protecteur. Autant de figures incontournables (parmi bien d’autres) parfaitement incarnées et transfigurées à l’écran (la représentation de Sauron est quant à elle aussi osée qu’épatante) par la contribution d’une orchestration magistrale signée Howard Shore, faut-il le rappeler. Le moindre détail est également soigné (les superlatifs manquent pour définir chaque costume, décor ou arme), les images livrées par Peter Jackson et son équipe (des concepts dessinés de John Howe et Alan Lee aux travaux avant-gardistes de WETA Digital, en passant par les maquettes et autres maquillages supervisés par Richard Taylor) nous plongeant avec force expressivité dans un univers mythologique sans équivalent. C’est bien simple, on n’avait jamais vu une reconstitution aussi importante, féérique et émouvante d’un univers d’heroïc fantasy jusqu’alors et l’on n’en verra plus jusqu’à la sortie du second opus, Les Deux Tours.
Avec La Communauté de l’anneau, Jackson et son équipe nous prouvent avec brio que l’on peut se démarquer d’un classique de la littérature fantastique réputé inadaptable pour mieux le transfigurer. Plus grand film d’heroic fantasy jamais filmé, ce premier volet n’était pourtant que les prémices d’une fabuleuse trilogie qui n’allait faire que s’amplifier par la suite.
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